Jusqu’où va le devoir de conseil ?

Fin connaisseur du diagnostic, Me Damien Jost, avocat au barreau de Paris, éclaire sur la notion du devoir de conseil, une notion qui gagne sans cesse en importance dans la jurisprudence et qui expose, comme d’autres professionnels de l’immobilier, le diagnostiqueur.

« A en croire certains, le devoir de conseil obligerait le diagnostiqueur à toujours aller au-delà̀ de sa mission, quitte à multiplier explications et avertissements en tout genre. Fantasme ou réalité ? Les tribunaux apportent quelques réponses à cette question essentielle et aident ainsi à “régler le curseur” du rédacteur de rapport.

Face à un danger potentiel (présence d’amiante, de termites ou d’autres parasites), ce qui importe, avant tout, c’est d’alerter le lecteur sur l’existence du danger (en se souvenant que l’on parle à un ” non-sachant “, d’où un choix des mots employés). Lorsqu’il y a danger mais aussi impossibilité d’accès à la totalité de l’existant – situation la plus fréquente –, ce devoir d’alerte se renforce.

Dans ce cas, les ” réserves ” (exemple : je n’ai pas pu examiner ceci ou cela, il faudrait donc mettre en œuvre des investigations complémentaires), idéalement mises en évidence par une couleur ou un graphisme particuliers, permettront au lecteur (y compris l’agent immobilier et le notaire) de comprendre qu’il n’a pas été possible de déterminer totalement l’état réel de l’espace examiné.

En revanche, lorsque le diagnostiqueur a mis en évidence un danger potentiel, peut-on lui demander d’expliquer la situation au lecteur du rapport, voire de le conseiller ? De même, l’opérateur doit-il signaler toutes les anomalies visibles, y compris lorsqu’elles sont étrangères à son champ de compétence ou à sa mission ?

Quelques décisions de justice, plus ou moins récentes, permettent d’y voir plus clair.

Réserves : un mal nécessaire ?

Même si l’idée que tout n’a pas été vu peut déranger et inquiéter le lecteur, l’expérience montre qu’il vaut mieux savoir le dire clairement. C’est ainsi qu’un diagnostiqueur vient d’être condamné à un montant dépassant 500.000 euros du fait de la présence de flocages qu’il avait crus, à tort, non amiantés (Cass. 9 juillet 2020, n° 18-23.920). Les juges se sont étonnés que le diagnostiqueur n’ait pas émis de réserves sur la composition des flocages, partiellement visibles, situés sous la toiture.

En défense, le diagnostiqueur a expliqué qu’il était en droit de supposer que ces flocages n’étaient pas amiantés du fait de leur aspect visuel mais aussi, et surtout, de l’année de construction de l’immeuble (1984)[1].

Réponse des juges : l’absence d’amiante ne peut être supposée, surtout face à des matériaux typiques, du type flocage. A défaut de prélèvement, le diagnostiqueur aurait donc dû émettre une réserve pour signaler le risque de présence d’amiante dans les flocages, et ce, malgré l’année de construction de l’immeuble.

Cette lourde condamnation démontre qu’en matière d’amiante, les hypothèses retenues par le diagnostiqueur (surtout quand il s’agit de conclure à l’absence d’amiante) doivent être maniées avec beaucoup de précautions rédactionnelles.

Devoir d’alerte ou devoir d’explication ?

En revanche, une autre décision démontre que l’on ne peut demander au diagnostiqueur d’expliquer toutes les conséquences résultant d’un danger potentiel révélé par lui (Cass. 5 décembre 2019, n° 18-24.672).

En l’occurrence, le diagnostiqueur avait mis en évidence des indices d’insectes à larves xylophages. Cette information fut portée à la connaissance de l’acquéreur avant que celui-ci ne prenne la décision d’acheter. Après la vente, celui-ci découvrit que les ILX avaient beaucoup dégradé l’immeuble, d’où la mise en cause de l’opérateur, auquel il fut reproché de n’avoir pas su expliquer l’ampleur et les conséquences de l’infestation.

Réponse du juge : ayant été informé, avant d’acheter, de la présence de dégradations causées par des ILX, l’acquéreur ne pouvait sérieusement prétendre qu’il s’agissait d’un vice caché dont il n’avait pas mesuré l’ampleur et les conséquences (ce litige illustre la légèreté de certains acquéreurs, ce qui oblige l’opérateur à veiller à la clarté du rapport).


Faut-il alerter sur tout ?

Confirmant sa modération en matière de devoir de conseil, la jurisprudence démontre que l’on ne peut demander au diagnostiqueur de devenir un “sachant universel”, tenu, comme tel, d’alerter le lecteur sur toutes les anomalies existantes, y compris celles qui sortent de sa mission et de son champ de compétence.

Exemple concret : vente précédée d’un constat d’état parasitaire qui ne révèle aucun agent de dégradation biologique du bois. Dès le lendemain de la signature de l’acte de vente, effondrement d’un mur pignon sous l’effet d’infiltrations ayant disloqué les pierres composant le mur. Mise en cause du diagnostiqueur, auquel l’acquéreur reproche de n’avoir pas su déceler la forte humidité ayant provoqué la ruine du mur. En appel, mise hors de cause de l’opérateur (CA Angers, 7 juin 2016, n° 14/01176).

Pour les juges d’appel, si la recherche des zones humides fait, certes, partie de la méthodologie du diagnostic parasitaire, l’on ne peut demander à l’opérateur de dire si des infiltrations affectent les murs composant l’immeuble, car telle n’est pas la finalité de sa mission (à noter cependant que les diagnostiqueurs sont régulièrement condamnés pour n’avoir pas suffisamment pris en compte l’humidité, comme facteur de risque parasitaire).

Détail remarquable : si le diagnostiqueur a été mis hors de cause, tel n’a pas été le cas de l’agence immobilière, à qui fut reproché de n’avoir pas suffisamment alerté les acquéreurs sur l’aspect évidemment inquiétant du mur pignon (celui-ci était déjà ” renflé ” avant la vente). Cette anomalie structurelle aurait dû la conduire à conseiller aux acquéreurs de recourir au diagnostic d’un professionnel du bâtiment.

Autre fait significatif : l’agence tenta de mettre en cause le notaire, mais le juge estima que celui-ci n’avait aucun devoir de conseil à l’égard de l’agence (il en aurait été sans doute autrement si les acquéreurs avaient eux-mêmes attaqué le notaire).

Où l’on voit que chaque professionnel participant au processus de vente (agent immobilier, notaire, et, de façon indirecte, le diagnostiqueur) doit assumer son propre devoir de conseil.»



[1] Étant rappelé que les flocages amiantés sont théoriquement interdits depuis 1980.