Piscine « aérienne » : quand le rêve se brise en plein vol
L’installation d’une piscine est un projet paradoxal : tantôt volonté farouche, tantôt astuce pour se désister d’un achat.
Monsieur X rêvait d’une piscine au bord d’une falaise. Son destin aéronaval s’est hélas brisé parce qu’un voisin situé en contrebas a décidé de faire terrasser son terrain, ce qui fragilise la zone située en surplomb et rend impossible l’implantation de la piscine à l’endroit prévu. M. X a d’abord obtenu la condamnation de son voisin, et de l’entrepreneur de celui-ci, à la réalisation de travaux de confortement de la falaise, ainsi qu’à une indemnité compensant l’impossibilité d’utiliser le bord du terrain. En appel, il fut décidé que l’indemnité pour perte de jouissance suffisait, sans qu’il faille en plus consolider la falaise.
La cour de cassation ne partage pas cet avis ; pour elle, les travaux sont nécessaires, indépendamment de l’indemnité accordée à M. X.
Cette décision paraît empreinte de bon sens : aucune demi-mesure ne peut être admise, à partir du moment où l’on reconnaît que le préjudice existe. Rien que le préjudice, mais tout le préjudice, tel est le principe en matière de responsabilité, qu’elle soit celle du voisin ou du professionnel.
Il est également intéressant de constater qu’une piscine est clairement perçue comme un bien immobilier à part entière, ce qui justifie la réparation du préjudice résultant de l’action d’un tiers : terrassement frénétique, mais aussi, sans doute, nuisances, pour autant qu’elles constituent des « troubles de voisinage », au sens juridique du terme. A noter qu’ici la responsabilité est partagée entre le voisin et son entrepreneur.
Objet ludique par essence, coup de cœur ou coup de tête, la piscine a droit à la même protection juridique que tout autre bien ; contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle n’est pas un élément accessoire, protégé a minima, du moins dès lors qu’elle constitue un bien immobilier.
L’indemnisation du recul de la piscine de M. X constitue également un avertissement pour tous ceux qui, par mégarde ou négligence professionnelle, viendraient à compromettre l’implantation de la piscine, telle qu’elle est souhaitée par le client et promise par son prestataire. Ce qui est protégé, c’est donc aussi le concept acheté par le client, aussi fantaisiste puisse-t-il apparaître.
Donnée essentielle du contrat – et plus largement du projet lui-même –, le choix de l’implantation se situe au cœur de la mission du professionnel. Celui-ci va devoir analyser les paramètres techniques, voire juridiques (respect des règles d’urbanisme, etc.), avant de déterminer la faisabilité du projet, puis préconiser une solution. Si, comme c’est manifestement le cas de M. X, le client est attiré par l’originalité, voire l’extrême, alors le devoir de conseil impliquera également de mettre en garde sur les dangers potentiels découlant de la configuration souhaitée et, corrélativement, les mesures de précaution qui s’imposent.
On ne peut toutefois exclure qu’il soit nécessaire dans des cas limites de savoir dire non, aussi difficile que puisse être une telle attitude. Un nombre croissant de professionnels est amené à découvrir qu’il est des cas où la prudence exige de savoir refuser, quitte à préconiser une solution alternative, si elle est possible. Dans un domaine où l’imaginaire peut occulter le sens des réalités, il est sans doute parfois bon de poser des limites.
Cette affaire donne une idée concrète de ce que peut être le conseil en action : à l’évidence, face à un projet aussi peu banal que celui de M. X, le professionnel, pour se protéger d’un éventuel recours ultérieur, devra faire preuve d’une pédagogie certaine (mais aussi de qualités rédactionnelles), en exposant par écrit que le client a exprimé un souhait, lequel, s’il reste faisable, implique des contraintes techniques, un éventuel surcoût, mais aussi des risques, tels ceux liés à l’éboulement toujours possible d’une falaise (laquelle peut fort bien s’effriter indépendamment de tous travaux de terrassement du voisin !).
Ainsi fonctionne la responsabilité : le professionnel qui ne pourra prouver avoir dûment informé le client sur un risque particulier devra en assumer la charge, même si dans les faits c’est le client qui a insisté pour braver le risque.
Comment et quand donner cette information ? Certainement en amont de la décision du client, soit lors du devis, soit ultérieurement, dans un courrier complétant le devis initial.
Plutôt qu’une clause type, il faudrait délivrer un message clair et ciblé, du type : « vous avez souhaité que…, je vous ai informé que…, vous avez maintenu votre choix, voici en conséquence ma solution et mes préconisations… ».
Idéalement, ce message devrait être délivré non pas dans une notice standard, mais au contraire dans un document personnalisé correspondant au cas particulier du client (on peut supposer que ce n’est pas tous les jours que se rencontre un projet hors norme).
L’expérience montre en effet que les tribunaux font souvent peu de cas des notices d’information ressemblant à des catalogues de clauses types.
En la matière, il s’agit sans doute de trouver un compromis raisonnable entre le sur mesure et la fiche technique impersonnelle, comme celles que l’on peut trouver apposées sur n’importe quel produit de consommation courante. L’important est que le message clé (mise en garde particulière, etc.) se détache clairement du reste et ne se présente pas comme une clause type.
Bien évidemment, il est de la plus haute importance que le professionnel puisse établir que l’information a bien touché son destinataire, soit par la signature apposée par celui-ci sur le document qui lui a été remis, soit par la preuve matérielle que le document est bien parvenu entre les mains du client, ne serait-ce que parce que celui-ci y a répondu (le fax ou le courriel apparaissent comme de bons outils à cet égard).
Autre conseil pratique : si, parce que les circonstances en ont voulu ainsi, il n’a pas été possible de prodiguer tous les conseils et mises en garde, du moins par écrit, et qu’une réclamation parvient ultérieurement au professionnel, ne jamais répondre en direct, sans prendre conseil auprès d’un spécialiste du contentieux ou de son assureur RCP, afin d’élaborer ensemble une réponse.
Par son côté impulsif, le projet piscine doit être rationalisé par le professionnel, sauf à provoquer un raz-de-marée à la mesure de la déception du client dépité.